La cinquième édition du Festival Allers-Retours du cinéma d’auteur chinois, qui s’ouvrira au musée Guimet le 3 février 2023, proposera au public parisien 9 longs et 6 courts-métrages. Pour cette nouvelle édition, le festival met à nouveau l’accent sur les auteurs eux-mêmes et leur individualité, et comment la notion même de « cinéma d’auteur » est constamment redéfinie par l’arrivée d’une nouvelle génération.
Les trois années écoulées ont-elles influencé l’œuvre des jeunes créateurs qui grandissent dans cette crise ? Il est sans doute trop tôt pour répondre à cette question, mais nous espérons que la sélection de cette année apportera un éclaircissement – et un peu d’espoir.
« Film d’auteur chinois », un concept bien vague, où le mot « chinois » lui-même se dissout dans cet énorme territoire. Nous prendrons donc le point de vue des jeunes créateurs comme point de départ de ce voyage. Le film d’ouverture de cette année, Journey to the West, est le premier long-métrage de KONG Dashan. « Documenteur » sur l’ufologie, comédie mâtinée d’éléments de science-fiction, il ne laisse personne indifférent.
Cette quête d’une rencontre du troisième type marque aussi le coup d’envoi du festival. Bipolar est le premier long-métrage de Queena LI. Elle y réinvente le thème classique du « voyage à Lhassa » aux multiples connotations religieuses pour créer son propre voyage musical psychédélique et mystérieux. Barbarian Invasion est écrit, réalisé et joué par une seule artiste, TAN Chui Mui. Dans cette brillante mise en abyme, elle navigue entre ses multiples identités à l’écran et hors-champ, occasion d’une introspection sur la maternité et le corps féminin. Go Fishing de NAN Xin place sous l’œil de la caméra la jeunesse agitée de désirs vains et indicibles dans une petite ville de province sans histoire.
Non contents d’explorer le vide intersidéral, les jeunes réalisateurs s’intéressent aussi aux histoires personnelles et familiales. Lieu de sédimentation de l’Histoire, la famille permet de remonter le temps. NIU Xiaoyu a recours au surréalisme pour explorer la frontière entre la réalité et la mémoire dans Virgin Blue. Dans Farewell, my Hometown, WANG Erzhuo brouille la frontière entre documentaire et drame pour retracer le parcours spirituel de trois générations de femmes sur 70 ans.
Le documentaire Four Journeysest un voyage cathartique pour Louis Hothothot. Enfant caché car « en trop » dans le cadre de la politique de l’enfant unique, il renoue avec sa propre famille par le cinéma. Dans After the Rain, FAN Jian capte avec sa sensibilité habituelle une décennie de l’existence brisée des familles qui ont perdu un enfant dans le grand tremblement de terre du Sichuan en 2008.
Documentaire utilisant largement les techniques d’animation, Silver Bird and Rainbow Fish est composé d’images promotionnelles, de collages surréalistes et d’animations pop-art. LEI Lei aborde avec courage des sujets difficiles alors que sa famille se débat dans les turbulentes années 1950 et 1960, marquées par le culte de la personnalité de Mao et des vagues d’hystérie collective.
La liberté d’expression n’a pas été faite seulement pour errer dans l’espace et le temps. Les courts-métrages sont le véhicule d’une créativité libérée aussi bien dans la forme que le contenu. Une vitalité nouvelle est insufflée aux images familières des rêveurs et des papillons de The Dreamland par la fluidité et la ductilité de l’encre et du lavis, réalisant l’anima dans animation. Perfect City : The Mother est le premier volet d’une nouvelle série de ZHOU Shengwei, cauchemar sur la maternité, lointain descendant du Petit Otik de Jan Svankmajer, mêlant le stop-motion viscéral et la désincarnation de la 3D. Abordant avec tact le sujet délicat de la gestation pour autrui, ZOU Jing montre dans Lili Alone un tempérament visuel unique, d’où sourd une profonde tragédie sous l’apparente placidité du récit. À travers Olympic, ZHU Xin explore les mécanismes psychologiques complexes de la croyance, de la confiance et de la conscience collective. Dans Will You Look at Me, HUANG Shuli se livre à l’introspection sous la forme d’un journal visuel intimiste filmé en 8 et 16mm. Entre valeurs sociales traditionnelles et quête de soi, il renoue un dialogue longtemps perdu avec sa mère à la recherche de l’acceptation et de l’amour. De manière ludique, YU Miao joue dans L’Insaisissable Joie du Travail avec l’anachronisme pour mieux exposer les travers de notre société moderne et les hypocrisies de la start-up nation.
C’est ainsi que se conclut ce bref coup d’œil à notre sélection, dont beaucoup de films montrent un esprit d’expérimentation, quand ils ne sont pas franchement expérimentaux. Nous espérons que dans l’ombre une nouvelle génération d’auteurs attend son heure et est déjà en train d’écrire sa propre histoire. Peut-être que le festival, par les rencontres qu’il a suscitées, y trouvera modestement sa place.
Équipe d’Allers-Retours, 2023